Quand on cherche des informations sur la coutume des pieds bandés en Chine, on ne tombe que sur des articles « à sensation ».
Vous voyez, du type : « beurk, quelle barbarie, c’est absolument immonde et dégoûtant ! ».
Alors, oui, cette pratique peut sembler horrible. Surtout quand on vous donne les détails du procédé de bandage des pieds. Mais aujourd’hui, j’avais envie d’aborder ce pan de la culture chinoise différemment.
Cette tradition a duré plus de 1 000 ans en Chine : elle fait partie intégrante de la culture chinoise. Il est donc intéressant de comprendre pourquoi elle a été mise en place et suivie pendant si longtemps par des millions de femmes. D’épouses. De mères. De filles.
POURQUOI les femmes étaient-elles prêtes à tout pour avoir de petits petons en forme de « boutons de lotus » ?
Et pourquoi en 1912, lors de l’interdiction de se bander les pieds par la République de Chine, les Chinoises continuaient-elles cette pratique de manière illégale ?
C’est ce que nous allons essayer de comprendre.
Bonne lecture !
Sommaire
- Les pieds bandés en Chine : une pratique millénaire
- L’origine de la pratique du bandage des pieds
- Le procédé du bandage des pieds
- Les risques et dangers liés au bandage des pieds
- Les pieds bandés : le point de vue des femmes chinoises
- L’interdiction de se bander les pieds
- Témoignage d’une femme aux pieds bandés en Chine
- Apprendre le mandarin avec Chinois Tips
Les pieds bandés en Chine : une pratique millénaire
La coutume des pieds bandés a été pratiquée pendant plus de 1 000 ans en Chine.
Elle a commencé au Xe siècle, sous la Dynastie Tang, et a été interdite en 1912, après la proclamation de la première république.
Dans un premier temps, cette coutume était pratiquée sur les filles et jeunes femmes chinoises issues de classes sociales aisées. Au fil du temps, elle s’est étendue à une part plus large de la population.
Dès l’enfance, les pieds des femmes étaient étroitement liés avec du bandage pour empêcher leur croissance normale. Le but était de limiter la taille des pieds à environ 10 centimètres de longueur, soit la taille d’une main d’enfant.
Les pieds ainsi formés représentaient, selon les standards de l’époque, le summum de la beauté féminine.
L’origine de la pratique du bandage des pieds
Selon la légende, l’origine des pieds bandés remonterait à la fin des Tang, au Xe siècle.
L’empereur Xuanzong aurait demandé à sa concubine de se bander les pieds afin d’exécuter avec plus de grâce la danse du lotus et ainsi accroître son désir.
Par la suite, la coutume s’est répandue parmi la cour.
Les pieds bandés sont alors devenus un symbole de féminité, de richesse et de distinction.
En effet, les femmes aux pieds bandés étaient souvent incapables de marcher normalement et avaient une mobilité réduite.
Elles ne pouvaient pas travailler ou elles devaient se cantonner à des tâches domestiques simples. Les femmes provenant de familles pauvres ne pouvaient pas se le permettre.
Par la suite, cette coutume s’est élargie à d’autres classes sociales, moins aisées.
Avoir les pieds bandés donnait alors espoir aux femmes de faire un beau mariage et d’avoir un avenir meilleur.
Voici un poème du célèbre Sushi (1036 – 1101) pour décrire « la sophistication » de la marche des femmes aux pieds bandés :
« Embaumant le parfum, elle esquisse des pas de lotus ;
Et malgré la tristesse, marche le pied léger.
Elle danse à la manière du vent, sans laisser de trace physique.
Une autre, subrepticement, tente gaiement de suivre le style du palais,
Mais grande est sa douleur sitôt qu’elle veut marcher !
Regarde-les dans le creux de ta main, si incroyablement petits
Qu’il n’est de mot pour les décrire. »
Le procédé du bandage des pieds
Le procédé du bandage des pieds est-il aussi horrible qu’on le dit ? Honnêtement… oui.
Généralement, il fallait le faire aux petites filles, quand leurs pieds n’étaient pas encore formés. Idéalement vers 4 ans pour garder de minuscules petons, mais parfois ça se faisait plus tard, vers 6 ou 8 ans.
La mère baignait les pieds de l’enfant dans de l’eau chaude et du sang d’animal mélangé à des herbes médicinales pour les ramollir.
Ensuite, les orteils (à l’exception du gros orteil) étaient pliés vers l’intérieur, afin d’obtenir une forme de pied triangulaire, en forme de « bouton de lotus ». La plante du pied était quant à elle courbée pour réduire sa longueur.
Le pied ainsi bandé était ensuite placé dans une chaussure, de plus en plus petite au fil des semaines.
Les bandes devaient être quotidiennement changées et les pieds lavés dans des solutions antiseptiques.
Les risques et dangers liés au bandage des pieds
Si le bandage des pieds était réalisé à un âge tardif, les fractures (volontaires ou accidentelles) étaient fréquentes.
De plus, comme on peut très bien l’imaginer, le bandage en lui-même était très douloureux.
Il arrivait aussi que les jeunes filles souffrent de complications.
Comme elles marchaient sur leurs orteils repliés, leur sang ne pouvait plus bien circuler. Cela pouvait provoquer la nécrose des orteils qui tombaient tout simplement. Il faut savoir que cela ne dégoûtait pas les parents… Ceux-ci étaient ravis, car les pieds allaient ainsi être encore plus petits.
Malgré les soins apportés, 10 % des filles aux pieds bandés mourraient d’une septicémie.
Les pieds bandés : le point de vue des femmes chinoises
De notre point de vue, il est difficilement inimaginable de s’infliger une telle torture ou de la faire vivre à son propre enfant.
Cependant, il faut remettre les choses dans leur contexte.
À l’époque, c’était la seule voie à suivre pour les femmes chinoises. Elles le faisaient parce qu’elles pensaient que cela leur donnerait un avenir meilleur et qu’elles pourraient faire un mariage fortuné.
Les pieds bandés étaient symbole d’espoir d’une vie meilleure…
Certains proverbes sont d’ailleurs apparus, comme celui-ci : teng er bu teng xue, teng nu bu, teng jiao , qui signifie « si vous vous souciez de vos enfants, ne vous inquiétez pas si votre fils souffre pour ses études ou votre fille pour ses pieds (Blake, 681).
D’ailleurs, quand en 1912, la pratique fut interdite, de nombreuses femmes ont continué de se bander les pieds.
Pas facile d’abandonner une coutume de plus de 1 000 ans… Surtout quand votre statut dans la société dépendait de celle-ci !
De nombreuses femmes ont alors continué de se bander les pieds.
L’interdiction de se bander les pieds
Il y a eu plusieurs tentatives pour interdire les pieds bandés.
- Hong Xiuquan, le leader du Royaume céleste Taiping (1851-1864), a plaidé en faveur de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes et a prôné la liberté de ne pas bander les pieds des femmes. Aucune de ses trois filles n’a eu les pieds bandés.
- En 1883, Kang Youwei a fondé la société anti-bandage des pieds pour lutter contre cette pratique.
- En 1902, l’impératrice Cixi a essayé de bannir cette pratique, sans succès.
Il y eut d’autres tentatives au cours du XXe siècle, mais la pratique était trop ancrée pour être éradiquée.
C’est en 1912, après la chute de la dynastie Qing, que le gouvernement de la République de Chine a interdit le bandage des pieds.
Il a d’ailleurs forcé les femmes à ôter leurs bandelettes, ce qui s’est avéré tout aussi traumatisant pour elles, car elles étaient très attachées à cette tradition.
L’interdiction n’a cependant pas été appliquée de manière rigoureuse, mais elle a contribué à la diminution de la pratique dans certaines régions de Chine.
En 1949, lorsque la République populaire de Chine a été fondée, le nouveau gouvernement communiste a lancé une campagne visant à éradiquer le bandage des pieds.
Cette campagne a été menée dans le cadre des réformes sociales et culturelles plus larges visant à moderniser la Chine.
Depuis lors, il n’y a quasiment plus de femmes aux pieds bandés en Chine.
Témoignage d’une femme aux pieds bandés en Chine
Un documentaire émouvant a été diffusé sur la BBC dans lequel Wang Huiyuan, une dame chinoise de 84 ans, raconte son histoire.
Alors que la pratique était officiellement interdite depuis 1912, Wang Huiyuan a demandé à sa mère de lui bander les pieds suite à des moqueries. Elle n’avait que 6 ans, mais elle était prête à souffrir pour avoir de tout petits pieds.
Dans le documentaire, elle explique que lorsque ses pieds ont été bandés, elle s’est mise à hurler : « Plus que ça ! Plus que ça ».
Bien que ce soit douloureux, elle criait la nuit pour alerter sa mère : « ça se desserre, ça se desserre ! » La vieille dame raconte que c’est pour cette raison que ses pieds ne sont pas si « petits que ça au final ».
Elle explique aussi qu’elle « ne voulait pas être libérée ».
Quand le gouvernement venait, elle ne voulait pas qu’on débande ses pieds et elle se cachait.
Un témoignage qui permet de mieux comprendre le point de vue des femmes chinoises concernant cette pratique.
À découvrir aussi : Pourquoi les Chinois boivent de l’eau chaude ?
Apprendre le mandarin avec Chinois Tips
Tu apprends le chinois ?
Que ce soit pour préparer un voyage, pour tes études, ton travail ou simplement par passion, tu es au bon endroit !
Chaque jour, tu recevras aussi un mini-cours directement dans ta boîte mail pour travailler un point de grammaire, apprendre un nouveau mot de vocabulaire ou encore pour améliorer ta prononciation.
Le tout, expliqué d’un point de vue francophone !
Pour recevoir ta première leçon, il suffit de mettre ton adresse mail ci-dessous.
À lire aussi : Pourquoi les Chinois avaient-ils les cheveux longs autrefois ?
Merci Océane pour cet article , je vais quand même alller faire une petite promenade
« De notre point de vue, il est difficilement inimaginable de… »
Vous vouliez sans doute dire difficilement imaginable.
Sinon, il s’agirait presque d’un koan des méditations zen.
La tyrannie patriarcale, intégrée par ses propres victimes, n’a jamais connu de frontières 🙁
D’après l’Histoire de la Chine en BD de Jing Liu (tome 3 – p 61) : « Certains historiens pensent que la fin tragique des Song du Nord et les raids qui s’ensuivirent expliquent en partie la coutume chinoise des pieds bandés.
Pour protéger leurs filles des pilleurs venus du Nord, les parents leur bandaient les pieds.
[…]
Aux yeux des nomades, des femmes aux pieds bandés étaient inutiles.
Quoi ?! Elles ne peuvent pas monter à cheval ?! »
De plus, une étude de 2018 suggère que cette pratique culturelle était motivée par l’économie :
https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0201337
Ce papier pouvant être difficile à lire, voici une interview de la principale auteure :
https://news.harvard.edu/gazette/story/2018/10/study-foot-binding-was-driven-by-economics-not-sex-and-beauty/
Merci pour cet article C’est vrai que certains passages sont assez difficiles, mais c’est important de bien expliquer en quoi ça consistait.